De la fourche à la fourchette : l’État doit protéger l’élevage français pour garantir la qualité dans les assiettes et notre souveraineté alimentaire
Dans un contexte exceptionnel de crise sanitaire et de fermeture des marchés, les éleveurs de bovins maigres et les engraisseurs sont particulièrement exposés dans la mesure où les cotations s’effondrent, à mesure que les stocks de bétail destinés à l’export s’accumulent faute de marchés correspondants à l’échelon européen.
J’ai interpellé, début novembre, le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien de NORMANDIE, sur la nécessite de maintenir le fonctionnement actuel de l’Observatoire des prix vif afin de « garantir une juste régulation des prix grâce à des cotations hebdomadaires objectives et transparentes, offrant ainsi aux acteurs de cette filière des références de prix indispensables pour l’équilibre des relations commerciales ».
Afin de continuer à soutenir la filière des éleveurs maigres et engraisseurs, j’ai aussi demandé que soient réactivés des dispositifs de solidarité, déjà créés lors de périodes de sécheresse, comme la création d’une aide forfaitaire à la commercialisation des jeunes bovins mâles pendant les mois de janvier à avril 2021, de façon à rééquilibrer le marché de la viande bovine et permettre le redressement des cotations. J’ai également insisté sur la nécessité de l’étendre de manière pérenne aux broutards, afin de conforter l’ensemble de la filière bovine.
Je dénonce le double discours du gouvernement sur la cause de l’élevage bovin. Trois ans après les États généraux de l’alimentation, qui devaient poser les bases d’une agriculture durable, ce secteur, en grande souffrance est régie par « une économie de la destruction ».
J’ai d’ailleurs cosigné une tribune parue dans le Journal du dimanche le 3 avril 2021 afin de rendre publique cette indignation que nous partageons, élus de tous bords issus de région d’éleveurs, car la disparition des élevages et de leurs animaux dans nos paysages n’est plus un fantasme. Elle est là, à nos portes, dans le silence général.
Avec elle, nous assistons à la disparition d’une part de notre identité culturelle commune fondée sur une agriculture familiale et une alimentation qui font encore la réputation de la France. Pour combien de temps ?
L’économie de marché qui régit le secteur de la viande bovine est une économie de destruction, qui considère qu’un animal nourri à l’herbe dans une exploitation familiale répondant à tous les critères du développement durable dont la France se veut la championne, n’a pas plus de valeur qu’un animal poussé en élevage industriel à grands coups d’antibiotiques à l’international.
Car ce n’est pas un modèle d’élevage industrialisé, capable de résister à la concurrence de fermes-usines américaines ou d’autres élevages sans norme environnementale et sanitaire stricte, que les pouvoirs publics ont promu à l’occasion des États Généraux de l’Alimentation. Ce n’est pas, non plus, ce modèle que les citoyens plébiscitent.
À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, notre modèle d’élevage français permet de privilégier la qualité sur la quantité, de mettre nos prairies au service de la captation du carbone, de la préservation de la biodiversité. Mais ils ne peuvent le faire sans que le pouvoir politique, quel qu’il soit, en tire les conséquences sur les politiques de prix, sur le partage de la valeur ajoutée tout au long de la filière, de la fourche à la fourchette.
L’État doit permettre aux éleveurs d’obtenir des prix couvrants, au moins, leur coût de production. Sans cela, la France perdra sur tous les plans : celui de sa souveraineté alimentaire, comme de la durabilité. Deux enjeux à concilier dont le Président de la République et le Gouvernement affirment faire leur priorité, sans jamais les concrétiser.
Tribune parue dans le JDD du 3 avril 2021